La crise de Suez vue de Saint-Palais-sur-Mer

Par Marie-Anne Bouchet-Roy

 
Christian Pineau portrait

A l'été 1956, l'Égypte dirigée par Nasser est au cœur de l'actualité. Le canal de Suez entre la mer Rouge et la mer Méditerranée est une voie commerciale capitale, détenue en partie par l'économie franco-britannique. Le 26 juillet 1956, Nasser décide unilatéralement la nationalisation du canal. Cette décision est à l'origine d'un conflit entre l'Égypte et une alliance secrète, formée par l'État d'Israël, la France et le Royaume-Uni. Le signataire de cette alliance pour la France est le Ministre des Affaires Étrangères, Christian Pineau. Celui-ci possédait une villa à Saint-Palais-sur-Mer. Notre témoin de l'époque, Gustave Lormeau, toujours sur les bons coups, raconte à sa façon la surprise du Ministre, pris de court par l'annonce égyptienne.

« À Nauzan, en face de la ferme de Bernezac, Christian Pineau avait une villa. Il fut un temps Ministre des Affaires Etrangères et il lui arriva une aventure assez cocasse. Envoyé en Egypte s'assurer que le Raïs Nasser ne toucherait pas aux intérêts de la France sur le Canal de Suez, il est raccompagné à son avion par le Raïs lui-même qui lui jure qu'il n'en fera rien. Le ministre fait alors passer un message sur la réussite de sa mission. Arrivé à Orly, à sa descente de l'appareil, son chef de cabinet l'informe que durant le vol, le Raïs avait nationalisé le Canal.
Son arrivée à la villa fut fêtée par sa famille comme on l'imagine ».

 

 

 
Nasser Suez 1956

Nous laissons à notre grand reporter la responsabilité de ce récit. Ce qui est certain, c'est que la décision de Nasser fut une réelle surprise pour tous, ainsi que le raconte Christian Pineau lui-même:

 
 
 

" Le 26 juillet, à Alexandrie, à la fin d'un discours orienté principalement contre les États-Unis, Nasser annonce la nationalisation du canal de Suez. Dans le même temps il a fait procéder à la mainmise par les troupes égyptiennes des installations appartenant à la Compagnie. La nouvelle connue à Paris dans la soirée, provoque, surtout dans les milieux politiques, la plus vive et la plus naturelle des réactions. Je suis, moi-même, le premier surpris.
Que l'on ne parle pas des services de renseignement du Quai d'Orsay! Il n'en existe pas ! L'espionnage français dépend pour une part de la présidence du Conseil, pour une autre du ministère des Armées, et il est en général mal placé pour assurer à l'étranger un rôle de surveillance politique. Le ministère des Affaires étrangères, à défaut de crédits, ne dispose que du flair de ses ambassadeurs. Si le refus inattendu de Foster Dulles d'aider l'Égypte à construire le barrage d'Assouan nous avait à la fois surpris et inquiétés, nous n'imaginions pas une réaction du « Raïs » dirigée contre le Canal. Il n'y avait a priori aucune relation entre les deux problèmes. Cette imprévoyance était sans doute une erreur. Mais nous ne voyions aucune raison pour que l'Égypte s'en prît à des intérêts franco-anglais pour se venger d'un affront infligé par les États-Unis. C'était oublier la haine accumulée dans ce pays contre la Grande-Bretagne et l'immense prestige que pourrait procurer à Nasser auprès de son peuple ce camouflet infligé à l'ancienne puissance colonisatrice.
Toujours est-il que la surprise fut complète. Cela prouve, s'il en était besoin, l'absurdité de l'hypothèse d'un complot anglo-français ou franco-israélien contre Nasser. J'étais ce soir-là, si mes souvenirs sont exacts, à l'Assemblée nationale, ne pouvant guère, vis-à-vis de mes collègues inquiets, exprimer autre chose que des sentiments voisins des leurs. »

 
 
 

Christian Pineau, 1956, Suez. éditions Robert Laffont, 1976.

 

Suite de l'histoire

L'anecdote relatée par Gustave Lormeau a fait réagir Denis Lefebvre, journaliste et historien du socialisme qui vient de publier " Les secrets de l'expédition de Suez 1956 ". Il nous précise tout d'abord que Christian Pineau s'est rendu en Égypte non pas en juillet 1956, mais en mars 1956. Il a donc appris la nationalisation du canal de Suez alors qu'il était déjà à Paris, et non pas à son retour d'Égypte. " Par ailleurs, ajoute Denis Lefebvre, au vu de la tension qui s'est installée sur le monde dès cette nationalisation, et au vu aussi du nombre de réunions qui se sont tenus à Paris durant l'été 1956 (sans compter le nombre important de voyages qu'il effectue en Grande-Bretagne au même moment), j'imagine mal que Christian Pineau ait pu prendre des vacances cet été-là à Saint-Palais-sur-Mer ".
Il en est ainsi des souvenirs qui parfois font fi de la chronologie pour rendre l'histoire plus belle. Quant à savoir si Christian Pineau a rejoint sa famille dans sa villa de Saint-Palais cet été-là, ne serait-ce que pour souffler pendant cette grave crise, l'énigme est toujours entière.

 

 

 

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Cet article a été réalisé en consultant les ouvrages suivants:

  • Histoire de Royan et de la presqu'île d'Arvert, Guy Binot
  • Au fil des années Royan, Valery Dupon (Paul Dyvorne)
  • La saga des bains de mer, Guy Binot,
  • La station touristique royannaise de la fin du VIIIe au début du XXe siècle, Denis Butaye
  • Royan, Yves Delmas

et grâce aux recherches de Marie-Claude Bouchet et de Monique Chartier.