Histoire d'un festival

Dominic Gill, Financial Times - 22 avril 1977 : « Retour à la plage, pour entendre C'est en 1964, pour essayer de donner une image de marque à Royan, détruite en 1945, que la municipalité de l'époque, toute fière de vivre dans une ville neuve et moderne, pensa à un Festival d'art contemporain.

Dès 1964, une semaine de musique ouvrit l'époque dont nous nous occupons au cours de cette rétrospective. Grâce à l'amiral Meyer, à Monsieur de Lipkowski, au docteur Bernard Gachet et à Claude Samuel, Royan allait devenir, l'année suivante et à la surprise générale, un haut lieu culturel, connu dans le monde entier.

Nous avons vécu, à Royan, le triomphe de l'avant-garde qui luttait depuis 1945 et surtout depuis 1950, contre un académisme soi-disant sclérosant et inutile. Pouvoir concentrer en une semaine, dans une petite ville de 18.000 habitants, sans grands moyens financiers, avec une infrastructure culturelle réduite, tout ce que la création musicale faisait de mieux, voilà le pari fait par les organisateurs.

Et ce pari fut gagné : de grands interprètes, des compositeurs déjà célèbres, un public cultivé et enthousiaste, les meilleurs critiques musicaux, des créations mondiales, des créations françaises, des colloques, un magnifique concours de piano à la gloire d'Olivier Messiaen, deux soirées « Portes Ouvertes », l'une Xenakis, l'autre Méfano, les séances d'Initiation Musicale par Maurice Leroux, de l'imagination, de l'inventivité, bref, un grand succès international... Sans compter les manifestations annexes, théâtre, cinéma, ballets, Free jazz, expositions, ouverture sur l'Extrême-Orient qui amenaient à Royan un public plus large que celui des inconditionnels de la musique contemporaine.

De 1964 à 1972, tout semblait aller bien : le Festival d'Art Contemporain de Royan préparait avec exaltation et gourmandise son 10e anniversaire qui devait être grandiose.Mais, en neuf ans, beaucoup d'éléments avaient changé ou s'étaient transformés. Mai 68 marque dans l'histoire de la musique contemporaine un apogée symbolique en même temps qu'un renversement. L'avant-garde est devenue un marché rentable mais elle a perdu l'unité combative de ses origines pour éclater en foule de tendances qui démul­tiplient et caricaturent les divers courants de l'Atonalisme, de l'Electroacoustique, de la musique Aléatoire. Royan a exclu de ses manifestations de nombreux compositeurs éminents, de nombreux courants, de nou­velles expériences (musique répétitive de Steve Reich ou Philippe Glass) et surtout les compositeurs qui désirent revenir à la tonalité. En outre, et c'est là le plus grave, Royan n'a pas grandi avec le Festival. Ses lieux de concert sont toujours les mêmes, l'organisation d'un concert est devenue très complexe car le gigantisme électroacoustique complique tout. L'année 1972,(9e Festival) sera catastrophique : un concert annulé, nombreux retards, organisation défaillante. Tout était réuni pour une séparation. Surtout, le thème était la « jeune génération ». Loin de résoudre les conflits, les jeunes gens conviés à se faire entendre ne montrèrent rien d'intéressant et encore moins de nouveautés que leurs illustres aînés (Bério, Maderna, Boulez, Messaien, Xenakis, etc.).

La rupture entre Royan et Claude Samuel permettait d'espérer sortir du terrorisme post-webernien, retrouver l'hédonisme, la joie de vivre et un public heureux. Royan, avec un nouveau directeur artistique, jeune, omniscient, volontariste, se devait de trouver une nouvelle jeunesse. 1973 sera difficile à cause du conflit qui déchire Royan et La Rochelle, d'autant que, depuis 1972, le Festival de musique ancienne de Saintes commence à grappiller des subventions. L'année 1974 permet vraiment à Royan de retrouver sa splendeur en multipliant les créations mondiales et françaises de compositeurs qui étaient jusque-là laissés dans l'oubli ou carrément ignorés. Finis les retards, finis les canulars ; de nouveau, des interprètes incomparables, des ensembles de musique de chambre au top niveau international. L'Orchestre National de France, des chefs d'orchestre de grand renom mettent Royan au premier plan de la vie musicale en France. Le langage musical, bien que plus aéré, reste cependant assez difficilement compréhensible pour la majorité des auditeurs. Une autre voie s'ouvre pour la nouvelle génération : écrire une musique plus accessible, plus « populaire ».

Harry Hallbreich, conscient  de la difficulté de se passer de vedettes comme Xenakis ou Bério de faire exécuter (bien) des œuvres d'inconnus plus ou moins compétents, étranglé par les restrictions budgétaires, se battit avec beaucoup de courage et même d'inconscience, soutenu par un public restreint mais inconditionnellement fidèle et par la majorité des journalistes spécialisés. Abandonné par les maisons de disques qui, après les années fastes, ne vendaient quasiment plus de musique contemporaine, affaibli par la réforme de l'O.R.T.F., le Festival de Royan semblait très compromis. D'autant que l'I.R.C.A.M., créé en 1974, grâce à Jean Maheux, attira et aspira pratiquement toutes les subventions destinées à la musique (revanche de l'exilé Boulez). On pénétra dans les campagnes avec une semaine d'animation précédant le Festival. Le cinéma, grâce à Janine Euvrard, attira une nouvelle clientèle. Restait le problème de l'élitisme hautain qu'entraînait la semaine consacrée à la musique contemporaine qui ressemblait de plus en plus à un salon réservé à des professionnels. La crise conduisit au départ de Harry Hallbreich en 1976. Son rempla­cement par Paul Beusen puis par Maurice Fleuret sembla naturel à tous, tant l'impasse était évidente et incontournable.

Dans un livre paru en 1995 Requiem pour une avant-garde, l'auteur Benoît Duteutre règle avec talent mais un peu d'injustice et de parti pris, le sort de la musique Atonale et Dodécaphonique, Sérielle et Aléatoire et, en le lisant, nous pensons que, de toute manière, une manifestation telle que le Festival de Royan aurait rapidement débouché sur d'autres formes de réjouissances, type Francofolies ou Printemps de Bourges. D'ailleurs, le Royan bis, en moins bien, c'est-à-dire La Rochelle, sombra en 1984 et Sigma, festival anticon­­for­­­­miste et avant-gardiste de Bordeaux, en 1997.

Cependant, de 1964 à 1977, le Festival de Royan fut un événement considérable dans la vie musicale contemporaine. D'abord, en étant en France, la seule manifestation d'art contemporain où une semaine complète était consacrée aux avant-gardistes les plus osés. De plus, la création était encouragée par des commandes, en accord avec diverses fondations, avec des mécénats privés ou d'État. Les grands festivals de Darmstadt et Donaueschingen avaient leur équivalent en France. On ne parlait pas de terrorisme intellectuel, encore moins de goulot d'étranglement.

Pourtant, il y a sans doute autant de chefs-d'œuvre à notre époque que dans le passé, mais le temps n'a pas encore fait son tri... Les Royannais des années 60-70 ne se posaient pas de questions. Ils côtoyaient quasi-fraternellement les plus grands noms de la création musicale. Ils étaient devenus des « moderneux », sûrs qu'ils fréquentaient les Debussy-Ravel-Bartok du moment et que, rapidement, le grand public les suivrait. Était-ce une illusion ? L'avenir le dira...

 

L'intérieur du Casino1964 - 1er Festival. Semaine Internationale d'Art Contemporain sur le thème « L'Art, expression du sacré », à l'initiative du docteur Gachet.

1965 - 2e Festival, dirigé par Auric, Leroux, Messiaen, Samuel. Severino Gazzeloni et Yvonne Loriod assurent le premier concert.  Marius Constant triomphe avec ses « Chants du Maldoror », grâce à Jean-Jacques Bechade et Alain Cuny, récitant.

1966 - 3e Festival. Triomphe de Xenakis avec « Terretektorh » dirigé par Hermann Scherchen. Éclosion de Paul Méfano et Jean-Pierre Guezec. Le GRM, dirigé par Pierre Schaeffer, intéresse le grand public, par ses recherches sur le son et l'image.

1967 - 4e Festival. Le théâtre : « Médée » de Sénèque, le « No »  japonais, « Oh les beaux jours » de Beckett, « l'Eté » de Weingarten, distraient  les mélomanes de plus en plus nombreux, curieux et enthousiastes. Richter est accueilli fraîchement, comme Michel Decoust et son œuvre « Polymorphie ». Débuts du « Concours de piano Olivier Messiaen ». Triomphe de Michel Beroff.

1968 - 5e Festival. Les « Nuits » de Xenakis enflamment le château de La Roche- Courbon. Stockhausen séduit le public par ses conférences, mais est mal compris musicalement.

1969 - 6e Festival. L'Italie. L. Berio, son épouse la chanteuse Cathy Berberian, enchantent les mélomanes, de même que le Ballet du XXe siècle de Béjart. Les spectateurs sont de plus en plus nombreux (« On se cogne aux murs », dit Claude Samuel).

1970 - Quasiment toutes les manifestations de ce 7e festival se sont terminées dans le tumulte et la contestation, par exemple :

  • Horwath à la salle des Sports : « Théâtre 9 », direction Michel Hermon.
  • Spectacle de Jean-Marie Patte à la salle des Mouettes : émeute....
  • « Les Acteurs de bonne foi » de Marivaux, mise en scène de J-P Vincent.
  • Concert Pierre Henry : ricanements d'initiés.
  • « Quatorze stations » de Marius Constant : un catalogue Manufrance des instruments de percussion.
  • Arié Dzierlatka : « Paroles et Musique ».

Il est Suisse, il est sifflé. Le texte  est de Samuel Beckett, il est hué...

  • Concert des « Pierrot Players ».

Beaucoup d'incompréhension malgré la plasti­que de William Louther, pour ainsi dire nu, et très beau !

  • Les deux concerts de l'Orchestre National se termineront dans le tumulte.

Celui-ci et les techniciens de l'ORTF ont sciemment saboté les six œuvres du program­me, la musique contemporaine sérieuse étant ainsi ridiculisée par ceux qui auraient dû la défendre.

1971 - 8e Festival. Les musiciens des Pays de l'Est affichent leur décalage en regard des attentes occidentales.

  • Alan Silva et son orchestre de Free Jazz, le New Phonic Art, malgré le génie de ses interprètes (Drouet, Portal, Globokar, Alsina), montrent quelles sont les limites de l'improvisation.
  • Xenakis sauve le festival par son « entrée libre à 25 F »...
  • Exposition « Cinq peintres abstraits lyriques ».

1972 - 9e Festival. D'excellents orchestres de chambre se produisent :

  •  Mauricio Kagel déçoit ses fans les plus inconditionnels, Alain Louvier et son Orchestre du Conservatoire redore le blason des orchestres symphoniques, ainsi que l'Orchestre Symphonique de Bordeaux dirigé par Michel Tabachnik, héros d'une « Carte blanche à P. Méfano » inoubliable.
  • 1er Salon International de la Recherche Photographique (S.I.R.P.).

Départ de Claude Samuel pour La Rochelle où il espère trouver ce qui manque à Royan, un auditoire local, de vrais  salles de concert,  une ville plus riche, un conservatoire.

1973 - 10e Festival. Harry Halbreich succède  à Claude Samuel. Bernard Mounier est chargé d'amener un public plus populaire à la musique contemporaine (« Tri Yann » évangélise les campagnes de Médis à Jonzac).

  • Création de la Semaine d'Animation : « La chanson française et les ethnies : colloque international sur l'intégration dans la cité de la musique savante occidentale.
  • Cinéma (Programmation Jeanine Euvrard) au Lido.
  • 2e S.I.R.P.

Avec des moyens réduits, mais avec une programmation ambitieuse, Royan 1973, sous la présidence de Gyorgy Ligeti, reste un festival hono­rable mais souffre de la concurrence avec La Rochelle : Théodorakis ne fait pas oublier Xenakis.
1974 - 11e Festival. Royan et La Rochelle ont fait la paix ; Royan devient le lieu d'un vrai festival de création musicale contemporaine laissant libre cours à l'imagination débar­rassée de ses inhibitions. Place aux jeunes compositeurs !

  • Thème de la semaine d'animation  : « Musique et Société du Rio Bravo à La Terre de Feu ».
  • La nuit au casino, du 22 mars 1974, réunit environ mille personnes enthousiastes.
  • Musique et Danse, sous la présidence de Sylvano Bussotti. Ballet Blaska.
  • Cinéma Latino Américain.
  • Expositions : 3e S.I.R.P. et Peintres d'Amérique Latine.

1975 - 12e Festival. La même diver­sité dans les manifestations se retrouve :

  • Thème de la semaine d'Animation : Sud Louisiane, Acadie.
  • Musique et Danse sous la Présidence de Cristobal Halffter. Stockausen sera conspué à Saintes. I Solisti Veneti, les Percussions de Strasbourg restent fidèles à Royan qui reçoit aussi le London Sinfonietta.

Scandale de « Dance Organisation ». Le public local ne comprend rien à l'humour anglais et se comporte violemment (projectiles divers, insultes etc.).

  • Exposition : rétrospective Viera da Silva et Arpad Szenès.
  • Cinéma : Islam et Moyen-Orient.
  • 4e S.I.R.P.

1976 - 13e Festival.  Thème de la semaine d'animation : « De l'an mil à nos jours ».

  • Musique et Danse sous la présidence de Siegfried Palm.

Concerto pour violoncelle de C. Halffter

  • Théâtre du Silence
  • Cinéma ; Chine, Asie du Sud-Est
  • 5e S.I.R.P.
  • Exposition : Jean-Luc Selleret et ses Géo­métries fantastiques, au Temple.

Démission d'Harry Halbreich et de sa sœur Jeanine Euvrard.
Paul Beusen le remplace.

1977 - 2 festivals se succèdent
1er Festival des Arts et des Cultures de Royan du 21 au 31 mars.
De multiples actions au niveau local préparent le festival autour d'une thématique commune, « L'AFRIQUE ».
Cent spectacles, 20 000 spectateurs. Radios - Télévisions. Films.

Préanimation du 1er janvier au 20 mars :
Action dans les milieux scolaires et dans les Centres Culturels Municipaux, du 15 février au 15 mars. Spectacles et débats avec Doura Mane et une troupe d'artistes africains.

Animation du 21 au 26 mars :

  • Dix communes reçoivent des ensembles de musique traditionnelle (Haute-Volta, Mali Mauritanie, Niger).
  • Exposition d'instruments : « La Galerie Sonore », en collaboration avec les JMF.

Festival du 27 au 31 mars :

  • Haute-Volta : Larle-Naba.
  • Mali : Ensemble national Issa Traore.
  • Niger : Ensemble de Griots et Griottes du Sultanat de Zinder.
  • Mauritanie : Griots et Griottes dirigés par Seymali Ould Hemed Val.

2 500 personnes assistent à la veillée finale et à un séminaire d'ethnomusicologie dirigé par  Christian Poche.

  • Cinéma. Organisé par la Fédération Française  des Ciné-clubs et Jean Rouch. Cinéma Panafricain.
  • Expositions : œuvres d'Iba Ndiaye, Clément Ouezzin Coulibaly et Alioune Badiane.

14e Festival International d'Art Contemporain de Royan du 2 au 8 avril 1977.
La présidence du festival de musique est confiée à Ernest Bour.

  • Les Percussionnistes de Strasbourg jouent Erewhon  de Hugues Dufourt et le Südwestfunk de Baden-Baden, sous la direction d'Ernest Bour fait admirer son « professionnalisme ».
  • La 3e Symphonie de Gorecki a été très fraîchement accueillie par un public de professionnels blasés et dégoûtés à jamais des « accords parfaits ».
  • Ruf d'Emmanuel Nunes, en revanche, a été très applaudi.
  • Exposition Julio Le Parc.
  • 6e S.I.R.P.

Paul Beusen est remercié et remplacé par Maurice Fleuret
1978 - Le 15e Festival n'aura pas lieu.

 

 

En savoir plus : Festival International d'Art Contemporain de Royan 1964-1977 de Henri Besançon aux Éditions Bonne Anse.

 

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