Cordouan

Les origines

Guy BinotPar Guy Binot

Royan de tous temps a entretenu des relations étroites avec le phare de Cordouan, le plus ancien et le plus beau de France, qui fait partie intégrante du patrimoine naturel de tous les habitants de la Côte de Beauté.
A l'origine il s'agissait de l'île d'Antros, qui diminue peu à peu pour devenir l'îlot de Cordouan. Elle est décrite par le Romain Pomponius Mela comme une grande île flottante au milieu de la Gironde paraissant suspendue au-dessus des eaux. L'abbé Lacurie explique cet effet d'optique par le fait qu'à basse mer elle se confond avec les rochers environnants alors qu'à marée haute elle se distingue nettement au milieu des flots et semble alors « comme élevée au-dessus des rivages et des hauteurs qui, peu auparavant, la dérobaient à la vue ».
Lors des attaques des pirates Vikings, ou Normands, selon une chronique, les moines enfouissent leurs trésors dans la presqu'île d'Arvert, ceux de Cordouan sont mentionnés.
Certains font remonter une première tour hypothétique de Cordouan « bastie que sur pilotis et seulement de brique » à Jules César, d'autres au fils de Charlemagne, Louis le Débonnaire, mais le plus souvent on considère que le premier phare a été édifié sur le modèle de celui d'Alexandrie par les Arabes de Cordoue, soit au moment de l'invasion sarrasine au VIIIe siècle, soit pour des raisons commerciales au XIIIe siècle.
Cordouan, aussi appelé Coardem, Cordaen, Cordanne, Ricordanne, la torre de Cordam, ne doit pas forcèment son nom à la ville de Cordoue. Il peut s'agir aussi du nom de son entrepreneur. L'étymologie la plus logique propose « Cor d'asnes », le coeur du banc des Ânes, ou mieux « Tor d'asnes », la tour qui signale ce banc, car sur les anciens manuscrits le T et le C se confondent facilement. Le Grand Routier de Pierre Garcie, dit Ferrande, publié en 1483 qui conseille les marins pour entrer en Gironde, mentionne comme amer, la tour de Cordouan, sous le nom de « Cordanne ». Cela est en accord avec le nom anglais de tour donné à Cordouan : « Pelehede » ou « the Pole head », le mât, l'amer, qui signale « le bout de l'Asne » qui est pour les Anglais « The Pole », « Poullis » ou « Pelis ».
Le plus ancien document écrit connu mentionnant Royan est la charte du cartulaire du XIIe siècle de l'abbaye de la Grande-Sauve ou Sauve-Majeure, Silva Major, de l'ordre de Saint-Benoit, abbaye créée près de Bordeaux en 1079 qui fonde en 1092 le prieuré Saint-Nicolas à Royan. Parmi les témoins de cette fondation figure « Etienne, abbé et ermite de l'île de Cordouan ». La Sauve, grand centre bordelais de ce pélérinage, possède les deux prieurés de Royan et de Soulac, et l'ermitage clunisien de Cordouan perdu sur son rocher, dont la chapelle est dédiée à la Vierge. Cet ermitage bénédictin de Cordouan sert sûrement d'amer et l'ermite prie pour les âmes des marins péris en mer et, en cas de danger, sonne la cloche et allume un feu, peut-être sur le toit de l'ermitage car rien ne prouve qu'il y avait alors une tour.
Le portulan de Petrus Vesconte vers 1321, le plus ancien qui mentionne Royan, signale aussi Cordouan sous le nom de « Cordam ». Il existait donc à cette époque une aide aux marins assez importante sur l'îlot de Cordouan pour figurer sur une carte marine de cette importance. On appelle parfois la Gironde, rivière de Bordeaux ou mer Cordouane.

carte gironde grand format
 

 

La Tour du Prince Noir


C'est bien un phare que le Prince Noir fait construire, vers 1360. Il s'agit d'une tour octogonale surmontée d'une plate-forme à 16 mètres au-dessus du sol où un ermite est chargé d'entretenir un feu de bois chaque nuit, avec une chapelle dédiée à la Vierge Marie et des habitations en pierre pour l'ermite. Le pape Grégoire XI, contemporain du Prince Noir, apprécie cette tour si utile pour « la chouse publicque et sécurité des marchans, pour monstrer et enseigner l'entrée de la rivière de Gironde » et il souligne le symbolisme de sa « flamme fulgineuse » qui monte vers le ciel « en oraisons envers Dieu pour le bien commun ».
Quelques dizaines d'années plus tard, une charte anglaise indique que tout est déjà endommagé et démoli par les tempêtes de vent et d'eau, elle signale aussi que Geoffroy de Lesparre, ermite de « Notre-Dame de Cordain » et ses prédécesseurs ermites, ont depuis une époque reculée, le droit de toucher sur tout navire chargé de vin pour Bordeaux, deux gros de sterling ou leur valeur en monnaie d'Aquitaine, lesquels ne suffisent pas audit ermite qui reçoit la permission de percevoir deux gros supplémentaires, pour éviter la perdition de l'édifice. En 1427, une effroyable tempête ou plutôt un tremblement de terre aurait créé le pertuis de Maumusson et englouti une partie de l'île de Cordouan sans toutefois détruire la tour du Prince Noir.
La Cosmographie publiée en 1545 par Jean Fonteneau, dit Alfonse de Saintonge, capitaine pilote de François Ier, mentionne, lui, une petite île « tout environnée de rochiers » portant « une haulte tour », Cordouan, et sa carte manuscrite montre « Ricordane », avec sa tour dominée par une lanterne.
Le seigneur de Royan tient alors du roi « toute l'isle et tout naufrage » à Cordouan.

 

 

 

La construction, semée d'embûches, du phare de Louis de Foix

Henri III décide de construire un nouveau phare à Cordouan quand Biron, gouverneur de Guyenne, l'informe que la tour du Prince Noir « est tellement ruiné que aulcun hermite n'y oze n'y peut habiter et portant n'y a point de fanal, d'où s'en sont ensuyvis infinis naufrages au grand dommage du commerce et diminutions de vos deniers ». La coutume de Cordouan est collectée à Bordeaux qui est donc chargée du financement du nouveau phare indispensable à son commerce. Le 6 Juillet 1582, Louis de Foix, « varlet de chambre et ingénieur ordinaire » du roi est nommé pour « rebastir, redresser et reediffier ladicte tour et la remectre en tel estat qu'elle puisse servir », ce travail doit être réalisé en deux ans suivant un modèle en pierre déposé à l'Hôtel de Ville. De Foix est un célèbre ingénieur qui vient de participer à la réalisation de l'Escurial en Espagne. Michel de Montaigne, maire de Bordeaux, signe en 1584 un contrat de 38.000 écus pour ce phare nécessaire à la « seureté des navires et aultres vaisseaux de mer entrant dans la rivière de Gironde ».
Dès que Foix se met au travail pour construire son phare, près de celui du Prince Noir, les difficultés commencent. Il commence par protéger son chantier avec 400 toises de bâtardeaux, faits de gros chênes de 40 pieds de haut, ce qui l'oblige à dépeupler les forêts de Saintonge. Malgré cela, la mer envahit souvent son « fondé », ses fondations en pierres de taille de Royan de 2 pieds de long, 4 de haut et 4 de large. Foix se plaint amèrement des Royannais qui, lorsqu'ils sont aux mains des Ligueurs catholiques, rançonnent officiellement les réformés mais s'en prennent aussi aux catholiques comme Louis de Foix, l'architecte de Cordouan, retenu prisonnier en avril 1585 au château de Royan en attendant le paiement de sa rançon. Ces mêmes Royannais, devenus protestants sous le gouverneur Candelay, refusent de lui fournir les pierres de taille, et vont même, en 1586 jusqu'à détruire les travaux commencés et à remporter une partie des matériaux qui servent à renforcer les murailles de Royan à peu de frais et aux dépens de Henri III, peu apprécié des huguenots. Foix doit alors utiliser la pierre de l'île « noire et rouge, galeuze », les retards s'accumulent et les difficultés de trésorerie aussi. Lors des grandes tempêtes, la mer submerge toute l'île et, malgré cela, Foix y construit un village temporaire pour 90 ouvriers, sur les 200 qui y travaillent en tout, et près duquel il réside. Personne ne dit combien s'y sont noyés.
Une commission est chargée en mai 1592 de « recevoir les travaux achevés de la tour » qui est loin d'être finie. D'après cette inspection, l'île de Cordouan, à plus d'une lieue du rivage selon la carte de Tassin, a « 2 ou 3 lieues de tour et 6 pieds de plafond jusques au bon roc, y comprenant 2 de pierre crouste, 4 de argile de terre limoneuse puis bon roc dans lequel la tour a fondement de 2 piedz ». Mais tout s'arrête faute de fonds, pendant quatre ans pas une seule pierre n'est posée, les « pattaches, gallions et chaluppes » restent à Meschers sans rien faire et le fanal n'est pas entretenu. Les travaux reprennent en septembre 1595 quand 36.000 écus sont débloqués par les Bordelais qui se plaignent que « si ledit de Foix se fust contenté de son premier modèle, ladite besogne seroit desja parfaite ».

 

 

gravure royan et chateau chastillon

La forteresse de Royan dans laquelle Louis de Foix fut enfermé.
Gravure de Claude Chastillon vers 1606.

 

Le phare des rois

En effet Louis de Foix, qui collecte lui-même d'autres fonds en Saintonge, fait accepter par Henri IV un nouveau projet embelli et somptueusement décoré, afin d'en faire un symbole de la continuité et de la force de la monarchie qui éclaire et reste stable au milieu des tempêtes. Il recouvre les premiers travaux en pierres de l'île par celles de Royan et de Taillebourg. Certaines pierres proviennent de la « conche La Roanne près Roian » ou « de la Roine », une conche de la Reine est effectivement mentionnée sur une carte de 1696 et il semble s'agir de Pontaillac, ou plutôt de Malakoff où existent d'anciennes carrières. Royan fournit aussi tout ce qui est nécessaire, soit des « barriques de terre rouge » pour le four à chaux, le « bled et l'avoine », la « chair et viande » de la boucherie royannaise « A l'hoste de la Croix-Blanche » et des tonneaux de vin détaxé, 60 en une seule fois. Le personnel comprend 18 tailleurs de pierre, quatre maçons, un charpentier, 16 manoeuvres basques, un maréchal, un serrurrier, un barbier « pour panser les blessés et mallades par accident », un boulanger, un cuisinier, un meunier, un tonnelier « pour les barriques d'eau douce », un maître des six bateaux de Foix, 26 mariniers, un garçon, deux palefreniers et sept chevaux, les ermites qui s'occupent du fanal et Saint-Aulady capitaine de la tour. Ce dernier se plaint d'ailleurs que la coutume de 6 sols par navire ne permet plus à sa garnison de subsister. Foix travaille 18 ans à son oeuvre et s'y ruine et c'est son contremaître l'architecte Beuscher qui termine enfin le phare en 1606 sur l'intervention du topographe royal Claude Chastillon qui a dressé un plan des travaux sur l'île. Le phare n'est officiellement réceptionné que le 28 avril 1611. Ce superbe édifice classique, souvent considéré comme trop luxueux, a des fondations massives en style toscan avec quatre guérites en pierre sur le parapet.

 

Le premier étage dorique a un splendide portique orné de deux bustes en marbre blanc des rois Henri III et IV, et surmonté des statues de Mars et de la Paix. Le second étage corinthien est dominé par le dôme de la chapelle Notre-Dame avec huit grandes lucarnes, où Louis de Foix, si orgueilleux d'avoir construit ce « phare de gloire » au milieu des « flots du grandeux élément », place son propre buste au-dessous d'une plaque de marbre où il fait graver un étonnant sonnet à la gloire du « gentil ingénieux de ce superbe ouvrage » qui brave « du mutin Neptun la tempeste et l'orage ». On trouve enfin un pavillon circulaire décoré de pilastres composites et un escalier extérieur qui permet d'atteindre le fanal corinthien, où chaque nuit les ermites allument un grand feu de chêne, et dont l'obélisque sert de cheminée. Au sommet de l'édifice un vase à l'antique culmine à 150 pieds de haut. Les éloges pleuvent sur ce nouveau phare, par exemple pour Cosme Bechet c'est, tout simplement, la « huitième merveille du monde », et pour Savinien d'Alquié « le Phare d'Alexandrie n'est rien en comparaison ».

 

cordouan tour et phare

 
 

La tour de Cordouan, "racommodée" par Louis XIV

Après le siège de Royan par Louis XIII en 1622, l'un des chefs protestants, Fabas, renie sa parole donnée au roi de ne pas reprendre les armes et s'empare de la tour de Cordouan, mais le gouverneur de Royan, Drouet, lui coupe le ravitaillement qu'il reçoit de Saint-Palais. Réduit à ne manger que des coquillages, il finit par se rendre et peut regagner La Rochelle où ses échecs successifs lui valent d'être insulté, déchu de toutes ses charges et déclaré « déserteur des églises » par les pasteurs réunis en assemblée générale.
En 1638, un voyageur, l'abbé Léon Godefroy est à Royan, d'où il visite Cordouan, le voyage prend trois heures et coûte 10 sols.
La tour de Cordouan, « abandonnée sans aucun entreténement n'y réparation », menace ruine, avec de grandes brêches, son fanal fendu d'un coup de tonnerre, son escalier rompu, aussi les gardes « ne peuvent plus s'y hazarder ». Il est question de supprimer le phare abîmé par la tempête de 1645 mais, à cause des marchands qui demandent au roi de le « faire racommoder », Louis XIV le fait réparer en 1665. La nouvelle tour a un lanternon à huit ouvertures en lieu et place du fanal et son obélisque, trois des quatre échauguettes ont disparu ainsi que les statues de Mars et de la Paix, enfin une croix s'élève au-dessus de l'escalier d'entrée.
L'intendant de la marine à Rochefort Michel Bégon propose la création d'une nouvelle entité administrative, la généralité de La Rochelle qui regroupe l'Aunis et la Saintonge et dont il devient le premier intendant en 1694. Le géographe du roi, Nolin, dresse la carte de la généralité qui est divisée en élections, les châtellenies de Royan, Didonne, Mornac et Saujon font partie de l'élection de Saintes ainsi que le phare de Cordouan.

Navire en perdition

Un navire tempêteaveu et dénombrement de Louis de La Trémoille en 1673 mentionne que le marquisat de Royan comprend les paroisses de Royan, Saint-Palais, Vaux, Saint-Augustin, Saint-Sulpice, et l'îlot de Cordouan qui « est des appartenances d'ancienneté de mondit marquisat ».
Si Cordouan a une batterie qui lui permet de tirer au canon par mauvais temps pour aider les navires, cela n'empêche pas quarante capitaines de se plaindre de l'absence de feu à Cordouan du 5 au 12 avril 1706 ce qui a failli les faire tous périr.
Pour Masse, le phare de Cordouan est un superbe édifice bâti sur une île séparée du édoc par un trajet d'une demie lieue, « Isle que l'on appeloit anciennement d'Antrosse » et qui était autrefois habitée.

 

Un feu à "éclipses"

Du bois au charbon

La portée du phare de Cordouan a été réduite de 2 lieues car il a perdu 22 pieds quand la lanterne calcinée par le feu à l'huile doit être démolie en 1717. Provisoirement, on réinstalle un feu de bois car les archives signalent que Cordouan consomme en hiver 31 bûches « moitié gros bois racine de pin qui se tire de la forêt d'Arvert et moitié bois de chesne » par nuit. Il devrait être allumé une heure après le coucher du soleil jusqu'à une heure avant son lever, sinon les gardiens ont une amende de 15 livres levée en faveur des pauvres de l'hôpital de Royan. En réalité le feu ne dure pas plus de deux ou trois heures, aussi deux navires sont perdus en janvier, d'autres en décembre de 1718, puis trois sont perdus et plusieurs endommagés en décembre de l'année suivante. En 1721 Cordouan est détaché de la généralité de La Rochelle pour être rattaché à Bordeaux et les pilotes de Royan et de Saint-Palais écrivent à Louis XV, le 20 août 1724, demandant de surélever cette tour. Le roi accepte et charge l'ingénieur de Bitry de remplacer, en 1727, les murs calcinés par une lanterne en fer qui a « des fenestres garnies de tous costez de bons barreaux de fer faits avec telle industrie qu'il y a des resnures pour placer du gros verre fort épais afin que le vent n'éteigne le feu ». Celui-ci est fourni par un réchaud brûlant 225 livres de charbon de terre par nuit et qui dure la nuit entière. En outre, le dôme couvert de plomb est blanchi avec trois couches de blanc de céruse afin d'être plus visible et la tour reçoit les bustes de Louis XIV et de Louis XV, œuvres du sculpteur parisien Lemoine. Cordouan est habité par quatre gardiens et un aumonier irlandais qui est congédié et remplacé par un Récollet de Royan payé 200 livres par an. Bitry qui reçoit une prime de 2.000 livres pour son travail à Cordouan, transforme à Royan la maison du sieur Girard en magasin pour entreposer 4.000 quintaux de charbon qu'une chaloupe, construite spécialement pour cet usage, emmène jusqu'à la tour. Cette maison sera connue comme « la maison de Cordouan ».

La maison cordouan
La Maison de Cordouan aménagée par l'ingénieur Bitry en 1727

Un feu à réverbère

A Cordouan, les autorités maritimes placent sur la plate-forme en bas du phare, à fleur d'eau, un canon de 12 chargé de tirer à intervalles réguliers pour alerter les navires par mauvais temps ou quand le brouillard empêche de voir le feu du fanal. Il est exigé de faire un essai avec un plus petit canon de 8 afin de vérifier si son tir n'ébranle pas le sommet de la tour.
A la fin de l'Ancien Régime, le feu fonctionne au charbon importé d'Angleterre, avec tant de difficultés, que les autorités proposent de le remplacer par des fanaux à réverbères mis au point par Pierre Tourtille-Sangrain « entrepreneur d'illumination ». Il s'agit de lampes à huile avec un réverbère, ou miroir sphérique, pour chaque lampe. L'huile achetée localement est pour moitié de blanc de baleine ou spermaceti, pour un quart d'huile d'olive et pour un quart d'huile de colza ou rabette. La lanterne de fer est supprimée et remplacée par une cage polygonale de 16 côtés en verre, avec un lustre à 5 rangs équipés de 16 lampes à huile, soit 80 réverbères de cuivre argenté de 8 pouces en carré. Une taxe de 4 sols par tonneau est perçue sur tous les navires qui transitent en Gironde pour ces travaux effectués sous la direction de l'ingénieur de la marine Teulère de Bordeaux. L'avantage est grand sur le plan transport, au lieu d'utiliser annuellement 14 tonneaux de charbon qui nécessitent de 18 à 20 voyages d'une gabare depuis Royan où le charbon est entreposé, on peut transporter l'huile nécessaire pour un an avec 2 voyages d'une seule gabare. Cela allége aussi le travail des gardiens du phare qui doivent transporter « l'aliment du feu » à bras « à une hauteur de 130 pieds par un escalier étroit et conséquemment dangereux ». La nouvelle lanterne est allumée le 12 novembre 1782, dès le mois suivant, les pilotes et gens de mer de Royan se plaignent de la pâleur du nouveau feu qui ne leur permet pas de travailler « compte tenu des risques qu'ils courent et de la sévérité des punitions auxquelles les expose la perte des bâtiments qui sont à leur charge ». Tourtille-Sangrain crie aussitôt à la cabale de gens locaux mal intentionnés et cite Correnson, commissaire de la marine à Royan, qui trouve ce nouveau feu très avantageux et espère que l'expérience va détruire la prévention existante. Teulère doit vérifier le bien-fondé des plaintes des pilotes et trouver un moyen de les faire cesser. Il remplace les réverbères par de nouveaux de 22 pouces, mais après observations faites en présence des capitaines royannais Renaud et Babinot, ce n'est guère mieux. Entre 1783 et 1785 plus de 400 réclamations sont enregistrées à Bordeaux contre ce feu à réverbère dont les glaces se ternissent facilement à cause de la fumée à l'intérieur et de la brume et de la pluie à l'extérieur, même les consuls étrangers se plaignent que ce nouveau feu s'éteint trop souvent et ne donne aucune lumière par temps de brouillard.

 

 

cordouan au XVIIIe

 

Cordouan se hausse du col sous la direction de Teulère

La tour de Cordouan étant en mauvais état, Teulère est chargé en 1786 de l'exhausser de 30 pieds et de perfectionner les réverbères. Après de savants calculs, il propose un exhaussement de 60 pieds au coût de 227.973 livres. Le chevalier de Borda, responsable des constructions de la Marine, accepte ces 60 pieds mais trouve le projet trop dispendieux et demande à Jallier d'en réaliser un plus simple.
Même si le projet de Teulère n'est pas accepté, son zèle, son talent et son travail immense sont appréciés, et il est chargé du devis de 95.638 livres qui est adopté en août 1787, puis d'exécuter ce travail qui ne défigure pas trop l'oeuvre de Louis de Foix dont les premiers étages sont conservés alors que le haut est un cône tronqué de forme ronde et lisse pour donner peu de prise au vent et sans ornements inutiles. Les travaux qui doivent durer deux ans commencent le 29 avril 1788 sous la supervision de Teulère qui se plaint d'avoir à payer de sa poche ses deux ou trois dessinateurs et son « écrivain ». Il se fixe à Royan en février 1789 et, pour être tranquille, il s'installe « chez les bons pères », les Récollets, qui le font dîner à 11 heures et souper à 6 heures du soir. Il en profitera d'ailleurs pour faire le plan d'une nouvelle jetée à Royan, laquelle ne sera pas réalisée, mais remplacée par une autre plus économique. Les travaux interrompus en hiver reprennent à Cordouan en mars 1789 et à la fin de l'été le gros oeuvre est terminé. Malgré de nombreuses réclamations pour un retour au feu de charbon, dont celles des pilotes pour qui « plus y ventoit et mieux nous le voyions », les reverbères sont conservés.

Tour cordouan teulère exhaussementTeulère est très fier de l'exhaussement de la tour, qui lui vaut une pension royale de 2.000 livres, et s'il estime qu'avec cette oeuvre « Louis XVI a surpassé tous ses prédécesseurs », il juge que Cordouan ne donnera jamais entière satisfaction car un feu fixe ne peut « porter la lumière que sur un point de l'horizon », aussi il invente, et fait accepter, un système tournant de réflecteurs paraboliques mis en mouvement par une horloge.

Un forgeron royannais est chargé de fabriquer une nouvelle lanterne, mais l'horloge n'est pas prête. D'où un retard d'un an pendant lequel c'est notre vieille monarchie qui sombre.
Teulère salue l'An 1 de la Liberté, il écrit: "Réjouissons-nous d'être hommes et Français avec le titre unique de citoyen, sans plus cette humiliante distinction d'ordres", et distribue à Cordouan une cocarde tricolore à ses gens. En mai 1793, la commune de Royan fait retirer de Cordouan les bustes et insignes royaux, et une amusante gravure coiffe le phare de Cordouan d'un bonnet phrygien.

 

Une excursion à la mode parfois risquée

Quand Royan est devenue une station balnéaire, les voyages touristiques à Cordouan deviennent courants avec les nouveaux vapeurs qui sillonnent la Gironde dans les années 1820 comme Le Triton. Un dessin d'époque montre les visiteurs en tenue de ville débarqués à Cordouan sur le dos des marins afin de ne pas se mouiller. Le récit d'une visite au phare de Cordouan précise le danger de ces excursions par une mer capricieuse. Comme Le Triton ne peut pas aborder, c'est un petit canot qui amène jusqu'au phare les voyageurs qui sont alors élégamment vêtus : « Dès qu'il touche l'unique et étroit fond de sable par lequel on puisse aborder, il faut, sous peine d'entrer dans la mer jusqu'à la ceinture, accepter le secours des épaules des marins ». Lors d'une visite à laquelle participe une famille anglaise, la mer est soudain très forte au moment de réembarquer. Le dernier marin, portant la mère anglaise sur ses épaules, bousculé par une vague avant d'atteindre le canot, perd pied et tombe avec elle dans la mer. Il réussit à la ramener au rivage pour lui éviter une noyade certaine, mais le canot, lui, ne peut revenir à terre et doit rejoindre le Triton. Le capitaine, afin de ne pas compromettre la vie des autres passagers, face à une mer de plus en plus démontée, décide de repartir immédiatement pour Royan au grand dam du reste de la famille de l'Anglaise qui en a été quitte pour un bain forcé. Furieuse d'être obligée d'endosser un habit de marin pour pouvoir faire sécher ses vêtements elle reste prisonnière à Cordouan car elle ne retrouve sa famille que trois jours plus tard, Le Triton n'ayant pu reprendre la mer plus tôt à cause du mauvais temps. L'histoire dit qu'à Royan « les baigneurs lui firent une ovation. La malheureuse fut obligée de quitter la ville. Elle était devenue un objet de curiosité, et peut s'en fallût qu'on ne lui fît un charivari sous ses fenêtres ».
Dans le premier ouvrage touristique dédié à Royan en 1846, Emma Ferrand ne s'étend pas sur l'excursion à Cordouan, où le Trim va plusieurs fois par semaine lorsque le temps est favorable car elle conseille de lire Le Voyage pittoresque à la tour de Cordouan qui décrit en détail le phare et toute la vie marine qui l'entoure et rappelle que la visite de Cordouan est « le plaisir le plus recherché à Royan », réalisé anciennement par les voiliers La Jenny, La Jeune Louise, puis maintenant par le « joyeux Trim à la vapeur ».
Le plan de Botton nous apprend alors que la pittoresque ruelle de Cordouan, en face de laquelle partent les barques pour le phare depuis la Maison de Cordouan qui figure sur de nombreux dessins d'époque, fait 2,10 mètres de large seulement.
Michelet qualifie le phare de Cordouan, perdu sur son écueil battu par les lames, de « martyr des mers », car c'est la seule lumière de la mer ténébreuse.
Les excursions vers Cordouan depuis Royan sont toujours populaires. Gustave Labat raconte une excursion mouvementée en mer le dimanche d'août 1877. L'ingénieur Baumgartner du service maritime affrète le bateau à vapeur l'Eclaireur de la Gironde, affecté à la surveillance des phares, pour emmener à Cordouan ses amis et sa famille.

phare de cordouan excursion royan bain de mer

Toute cette société élégante où les gentlemen se mêlent aux femmes élégantes en toilettes bleues, blanches et roses avec des ombrelles assorties, est transférée par un temps splendide pour débarquer sur la grosse et solide embarcation Le Nourisseur, utilisée au ravitaillement de la tour car le gros vapeur doit rester mouillé dans le chenal à un kilomètre au large. Après la visite du phare tout le monde fait un déjeuner très arrosé au pied de la tour, et cette joyeuse compagnie s'éternise et ne repart pas au moment où la mer est étale en dépit des observations réitérées du patron de L'Eclaireur et des gardiens du phare. Quand tout le monde se décide enfin à rembarquer sur Le Nourisseur pour rejoindre le vapeur, la mer a commencé à monter et les courants sont de plus en plus violents. Quand Le Nourisseur accoste le vapeur, au moment où les marins de L'Eclaireur se saisissent les amarres lancées depuis l'embarcation, une lame de fond de huit à dix mètres au moins se lève sur les récifs et se brise sur la malheureuse embarcation la remplissant aux trois quarts au milieu d'un fracas épouvantable. Le Nourisseur aurait sombré si par bonheur une des fortes amarres qui le reliait à L'Eclaireur ne l'avait tenu émergé de l'avant, ce qui permit aux malheureuses femmes affolées, et aux autres passagers tout aussi effrayés, de monter rapidement à bord avec l'aide des marins de L'Eclaireur , lequel déjà sous pression part aussitôt pour Royan. La catastrophe a été évitée de justesse car une seconde lame de fond aussi forte que la première déferle sur le solide vapeur qui n'en a cure. Les jolies femmes se refont une beauté dans la petite chambre de L'Eclaireur pour débarquer à Royan dans une tenue aussi décente que possible. Tout le monde s'en tire avec une douche glacée et quelques bons rhumes et réalise, mais un peu tard, qu'il ne faut jamais sous-estimer les dangers de l'Océan. En dépit de ces quelques accidents, l'excursion à Cordouan reste jusqu'à nos jours très populaire avec nos touristes.

 

Un phare entre deux rives

Comme Cordouan est rattaché administrativement à Bordeaux depuis 1721, il figure sur le cadastre du Verdon avec le n°1. Il avait été rattaché administrativement à la généralité de La Rochelle de 1696 à 1721. Michel Rapeau dans D'une rive à l'autre de l'estuaire en déduit que cette précision doit « mettre un terme à certaines rumeurs qui auraient tendance à vouloir rattacher ce lopin de terre au département de la Charente-Maritime ». Si cette remarque est exacte sur le plan administratif, et financier puisque c'est Bordeaux qui paie les frais concernant ce phare indispensable à son commerce, n'empêche pas Cordouan d'avoir appartenu aux seigneurs de Royan, et que c'est de Royan que le phare a été de tous temps construit et ravitaillé. Le phare de Cordouan a toujours été présent dans la mémoire de la ville. Quand en 1864, le maire Ardouin propose des armoiries parlantes, l'écu porte trois sardines, la pêche aux royans, le phare de Cordouan, une harpe emblème du casino, et un navire pour le port. Quand en 1880, Dagail publie un très décoratif plan de Royan-les-Bains sur l'Océan, il ne manque pas de faire figurer Cordouan parmi les monuments de Royan.

monnaie royan phare de cordouan société des commerçants

 

Les affiches touristiques des Chemins de Fer ne manquent pas non plus de faire figurer le phare sur certaines de leurs affiches, enfin en 1922, quand la Société des Commerçants de Royan-sur-l'Océan frappe monnaie pendant huit ans, suite à la pénurie de la petite monnaie légale aux guichets des banques par suite d'une pénurie de métal et d'une forte inflation, ces jetons en métal blanc portent d'un côté la valeur et de l'autre le phare de Cordouan. Enfin les guides Gallimard sur la Charente-Maritime ne manquent pas d'y faire figurer Cordouan.
Ce phare reste toujours un but de visite très apprécié des touristes royannais, surtout depuis que le tempête de 1999, y a fait apparaître une nouvelle île. La nature ayant peut-être décidé de faire renaître l'antique île d'Antros.

 

Plus d'informations

Le dossier Phare de Cordouan

"Cordouan Roi des Phares" de Frédéric Chasseboeuf aux Éditions Bonne Anse.

 

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