Mariella Righini

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... «  je l'ai voulu, il m'a eue »...

« Je l'ai tellement dans la peau / Qu'j'en suis marteau ... » . Avec lui, c'est physique. Dès le premier branchement, il m'a conquise. Son look clean et son élégance exquise. Sa façon de me souhaiter la bienvenue chaque fois que je l'allume. De me fixer, sans ciller, dans le blanc de l'oeil. De se fendre la pipe de travers, à gauche toute, avec sa grande gueule mange-disquettes. J'ai beau résister : « Dès qu'il me touche, c'est fini / Je suis à lui. »
Et il me le rend bien. Il n'y a qu'à l'entendre ronronner chaque fois que, d'une main gracieuse, je le taquine du clavier ou que je manipule sa souris. Drôle de nom pour désigner cet appendice qui me permet de lui imposer, d'une simple pression, mes quatre volontés. Et de vérifier, au moindre clic, dans le noir de son iris, l'effet recherché. Des heures je passerais ainsi, éperdue, sans quitter l'écran des yeux, et la souris de la paume. A en attraper crampes et picotements.


UN VRAI SALAUD

Je me suis lancée dans cette aventure à corps perdu. Je le savais macho pourtant. J'avais bien lu la pub. «Jamais autant de puissance dans un aussi petit volume. » J'avais repéré sa pomme d'Adam, son sex-Apple d'une virilité arrogante, image de marque qu'il affiche partout.
Une femme avertie en vaut deux? Pensez donc. Je l'ai voulu. Il m'a eue. Il est monté un soir chez moi et il n'en est plus reparti. Et il en prend de la place. Une pièce pour lui tout seul. Il a envahi mon espace et mon temps. Mis dessus dessous mon univers bien rangé. Balayé mes habitudes de vieille fille. Viré mon stylo noir à plume, mon encre verte, mon bloc sténo que j'utilisais à l'horizontale, mon pot de colle parfumée à l'amande, mes ciseaux orange made in Finland, mon rouleau de Scotch blanc. Tout à la poubelle, mes fétiches et mes manies de journaleuse. Perturbant individu. Qui m'a violée en m'imposant un monde qui n'était pas le mien et qui m'a plongée dans une panique totale.
Un vrai salaud, aussi. « Il m'fout des coups. » Il suffit que d'un geste je m'égare pour que d'un bip-bip impérieux il me fasse filer droit. Si j'ai le malheur de lui tenir tête, il se bloque en affichant une gueule qui me terrorise. Je n'ai plus qu'à céder. Il est allé jusqu'à me menacer de faire sauter la baraque. Une bombe est apparue sur sa face livide, assortie d'un verdict: « Une grave erreur a été commise. »
Une fois, j'étais énervée, j'ai eu un mot malheureux, une fausse manoeuvre qui m'a valu de sa part la vengeance la plus cruelle qui soit. Tout ce que je lui avais offert, ce jour-là, anéanti en une fraction de seconde. Un paquet de cinq feuillets bien tassés disparu corps et biens je ne sais où. On est resté fâché une semaine. Une autre fois, la sonnerie du téléphone a interrompu notre tête-à-tête. En me levant, j'ai trébuché sur le fil, j'ai coupé le courant, et tout ce que je lui avais confié auparavant, il l'a effacé de sa mémoire.
Ça m'a douchée. Maintenant je fais vachement gaffe. Je suis devenue parano. J'enregistre tout, paragraphe par paragraphe, et une fois notre duo terminé, je le duplique sur une deuxième disquette et le tire sur du papier.
C'est que, en le pratiquant, j'ai appris à le connaître. Quand je l'ai rencontré, j'étais une vraie novice. Vierge de tout rapport avec les Mac de son espèce. J'avais, bien sûr, écouté le mode d'emploi que, d'une voix doucereuse, m'avait prodigué sur disquette une de celles qui, avant moi, l'avait essayé. J'avais tout lu sur les performances et les tyrannies de cette machine macho. Mais rien ne vaut le corps à corps ...


L'ENCRE DE NOS EBATS

Depuis que j'ai percé ses secrets, on s'entend à merveille, tous les deux. On s'isole des journées entières dans notre piaule. On se marre comme des damnés à notre jeu favori, le traitement, ou plutôt le maltraitement de texte. C'est qu'il me simplifie la vie, le bougre! Je peux m'autoriser toutes les fantaisies, imposer toutes mes exigences de style, recommencer autant de fois que je veux, il est toujours partant. Je peux me permettre toutes les saletés, frapper au kilomètre sans me soucier du retour, changer d'avis dix fois, insérer des lettres, des mots, des lignes, des paragraphes, effacer et rajouter ce que je veux, couper et coller ailleurs, renvoyer, corriger, déplacer, refondre, raturer, foutre le bordel, il me remet tout en ordre. C'est Monsieur Propre.
Je ne peux plus m'en passer. C'est pourquoi je passe sur les critiques des copains - tous des jaloux. Ils lui reprochent de me prendre pour une imbécile puisqu'il ne s'exprime que par images. Ils lui trouvent la mémoire courte aussi, 128 K, c'est limité à leur avis, pas de quoi se pâmer. Je ne les écoute plus.
Car rien ne vaut le moment grandiose où, pour conclure nos jeux, je mène sa souris, par une manipulation adéquate, jusqu'à la fonction ... tant pis, appelons les choses par leur nom, orgasmique. Le bonhomme se livre alors à une activité intense, chaotique et bruyante jusqu'à ce que, instant sublime, se répande sur la feuille blanche de l'imprimante l'encre noire de nos ébats. Je me lève alors, heureuse, m'étire longuement, soupire d'aise et reprends, un ton au-dessus, ma lancinante rengaine : « Ma seule joie, mon seul bonheur / C'est mon Mac ... »

 

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